Un texte pour chaque décor: l'éveil de Laeïhl-Hith


Chaque diorama à venir sur le blog s'inspirera d'un passage issu de la nouvelle "Onéïrica", que j'ai écrite il y a treize ans. Dans le texte qui suit, Laeïhl-Hith, devenue déesse-monde après avoir été sauvée par le dieu-loup Onéïrismo et ses comparses, se réveille pour la première fois de sa vie sur la planète des rêves:


"Lorsqu'elle ouvrit les yeux, peu avant l'aube, Laeïhl-Hith sentit de suite que la planète était une partie d'elle-même, comme Onéïrismo le lui avait dit. Elle se leva en silence, laissant le dieu des rêves à son sommeil profond, et s'enfonça dans la forêt au sol moussu. Un lagon alimenté par une petite cascade, juste assez profond pour qu'elle puisse s'y rafraîchir en s'allongeant, attira son attention. Après une heure passée à se laisser masser par le léger remous de l'eau, elle alla s'installer sous un conifère dont les branches , exposées à la lumière des lunes, créaient d'envoûtantes ombres chinoises sur le tronc sombre. Le regard de Laeïhl-Hith, encore meurtri par ses souffrances récentes, avait besoin de douceur et d'obscurité. Onéïrismo lui avait dit que ses yeux s'habitueraient progressivement à voir l'invisible (en fait les mouvements d'énergie que Fléïoral-Lhia, elle aussi fraîchement arrivée sur la planète, découvrait un peu plus chaque jour) et elle savait que c'était vrai, mais pour l'heure elle ressentait l'intense besoin de laisser les choses décanter: en l'espace de quelques jours elle avait presque perdu la vie et la seule personne qui avait jamais veillé sur elle, et voilà que maintenant elle renaissait au côté de cette même personne devenue dieu, elle voyait à nouveau et ne sentait plus ce gouffre émotionnel qui avait failli l'engloutir. Autre chose avait également changé en elle: son regard était d'un bleu sombre à peine luminescent qui évoquait l'univers. Elle avait le souvenir fugace de son ancienne physionomie, mais ce qu'elle voyait dans le reflet de l'eau frémissante lui paraissait infiniment plus proche d'elle que ce qu'elle avait toujours connu. Son visage était certes le même, quoiqu'apaisé (une impression d'ailleurs accentuée par ses larges yeux), mais elle réalisa qu'elle ne s'était jamais vue habitée d'une telle sérénité, d'une telle paix intérieure. Laeïhl-Hith inspira profondément et posa une main sur la mousse tendre. Une brise légère et fraîche, générée par les remous de l'eau, caressa ses jambes, et elle sentit un frisson la parcourir du bas du dos à la nuque. À ce contact elle remua presque comiquement sur la couche végétale souple et humide. Ce sol, sur lequel elle jouissait enfin de son corps et de son âme en toute quiétude, c'était tout simplement une extension d'elle-même, et inversement. Son compagnon n'avait pas exagéré en lui disant qu'elle était l'incarnation de la planète des dieux du rêve. Comme en réponse à cette révélation, les racines de l'arbre ondulèrent et, progressivement, commencèrent à remonter le long de son corps nu. Elle tressaillit à nouveau et, plus par amusement que par pudeur, s'imagina vêtue de végétation. Réagissant à ce qui n'était rien d'autre qu'un souhait, de fines racines de chêne-sapin, fraîches et humides, commencèrent à se modeler sur sa poitrine et son ventre, tandis que d'autres plantes entouraient progressivement ses cuisses, la transformant en une Aphrodite florale. Au contact presque sensuel de ces végétaux, qui s'adaptaient au moindre de ses mouvements et de ses courbes, elle ressentit une joie indicible et eut l'impression d'une fusion, un peu comme si la sève devenait son sang et nourrissait tout autant son corps que son âme. Elle sourit alors, et ses yeux sombres se fixèrent sur sa main gauche, qui s'amusait à tracer des motifs invisibles sur le fond forestier. Une forme, encore imprécise et transparente, commença alors à naître de sa paume grande ouverte, et Laeïhl-Hith comprit alors qu'avec sa renaissance un pouvoir lui avait été donné. Qu'avait dit le peintre, d'ailleurs? qu'elle voyait clair dans ce monde d'aveugles? Voilà peut-être pourquoi, au creux de sa main, se trouvait désormais un cristal... "




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